Au centre de la table basse familiale, un réchaud au gaz supporte une imposante marmite en terre plus large que profonde, à moitié remplie d’un bouillon crépitant. C’est le donabé, majestueux une fois minutieusement bondé de légumes, boulettes de viande, tofu, champignons et compagnie. Couvercle refermé sur cette appétissante composition, on attend les oreilles grelottantes, les pieds blottis sous la table chauffante – c’est l’hiver – que le nabé s’ouvre à nouveau, dévoilant alors un riche fumet arrondi par la cuisson. Chacun à son bol, vient alors le moment du partage, car le nabé est LE plat unique du partage en famille. Et des donabé, on en trouve de toutes tailles pouvant satisfaire tous les foyers : du hitori-nabé pour célibataire aux (très) larges marmites pour héya (écurie) de Sumo.
Sumo Nabé
Car nos géants lutteurs de sumo sont les plus emblématiques consommateurs de nabé. La leur se nomme chanko-nabé, et n’est pas seulement consommée les soirs d’hiver, mais pratiquement chaque jour de l’année. Sans aucune lassitude ! Derrière le préfixe chanko- se cache en fait une large variété de nabé. Dans chaque écurie de sumo – véritable petite communauté -, les chanko-ban sont les lutteurs de corvée en cuisine. Et leur cuisine, c’est la chanko-cuisine. Sous la supervision du chanko-cho (chef de cuisine), les chanko-ban mitonnent en grande quantité le nabé du jour qui sortira de l’une des deux grandes familles : yosé-nabé et chiri-nabé.
Nabé Party
Probablement la plus consommée dans les foyers japonais, yosé-nabé débute par un aromatique bouillon de kombu, katsuobushi, champignons shiitaké…, assaisonné au choix de sel, sauce soja ou miso. La garniture varie selon la région et façonnera la saveur du nabé. On compte parmi les classiques : choux chinois, poireaux, champignons, tofu, boulettes de viande, tranches de poisson, coquillages… Les plus “flemmards” trouvent en supermarché des assortiments de garnitures pré-découpées, et même une variété de soupes en paquet allant de la saveur “miso” à la soupe “kimchi” en passant par une “chanko” un peu fourre-tout. En avant, nabé party !
Gastronomie
La seconde famille, chiri-nabé, a pour base un bouillon non assaisonné – de l’eau, tout au plus légèrement aromatisé de konbu. Ce bouillon fade s’enrichit des saveurs de sa garniture : fines tranches de poisson blanc, légumes, tofu… L’assaisonnement a alors lieu dans le bol des convives, généralement à coup de ponzu (mélange de sauce soja et d’un agrume japonais). Les délicates saveurs du “dangereux” fugu sont souvent appréciées de cette manière : on parle de fugu-nabé, ou encore fugu-chiri. Chiri-nabé compte aussi dans ses rangs le prisé mizu-taki, originaire de Fukuoka, qui n’est servi que dans d’onéreux restaurants spécialistes du poulet : un bouillon opaque d’un blanc immaculé est obtenu à partir des carcasses de poulets de première qualité “cuites dans l’eau” (sens littéral de mizu-taki). Y sont ensuite plongés viande de poulet, boulettes de poulet, feuilles de choux, champignons shiitaké, feuilles de chrysanthème, poireaux, tofu… Chez les Sumos, mizu-taki s’appelle parfois soppu-taki, et le terme soppu est couramment employé pour désigner les rikishi “musclés” qui manquent un peu d’embonpoint. Un rapport avec les carcasses de poulet ?
A chacun son Nabé
Comme récipient de cuisson autant que répertoire de cuisine, le nabé contient bien d’autres recettes régionales qui pour certaines sont de réputation nationale. Parmi elles, anko-nabé, le nabé de lotte pour laquelle on commence par faire revenir son foie – tout est bon dans la lotte -, ou encore la très tokyoïte et bicentenaire dozéu-nabé, nabé aux dojō, petits poissons d’eau douce qui autrefois proliféraient dans les rizières.
Quelle qu’en soit la recette, chaque nabé a une fin. La garniture s’en est allée, mais il n’est pas question de gaspiller le reste de bouillon qui s’est concentré. C’est l’heure du shimé : si certains plongent dans le nabé des nouilles ou des mochis, le plus classique reste le zosui. Du riz cuit se gorge des saveurs du bouillon et des œufs crus cuisent à la chaleur rémanente. Une cuillère en main, on se délecte alors des vestiges de la soirée nabé.
Le Kombu
Cette algue extrêmement riche en glutamate monosodique est essentielle au bouillon dashi et est utilisée d’innombrables manières dans la cuisine japonaise. Pour grandir, konbu a besoin d’eau froide et on la trouve donc sur les côtes du grand Nord japonais, principalement à Hokkaido où rausu konbu – pour le dashi – et rishiri konbu – pour autres usages sont cultivées en grande quantité et récoltées à la fin de l’été. Elles sont ensuite séchées, coupées en portions d’un mètre et plus pour la vente en gros puis conditionnées en plus petites portions pour les supermarchés.
Katsuobushi
Originaire du Japon, le katsuobushi apparait sous une forme comparable à l’actuelle dès l’ère Muromachi (1336~1573): les filets de katsuo – bonite, ou thon à ventre rayé – sont bouillis, désossés, fumés, puis séchés à répétition au soleil, et inculqués d’un champignon (Eurotium Herbariorum) jusqu’à devenir plus dur que du bois. En cuisine, le katsuobushi est débité en fins copeaux avec une sorte de rabot (katsuobushi-kézuri) avant infusion pour le bouillon dashi ou utilisation comme garniture.
Le Fugu
Les différentes variétés du poisson fugu sont connues pour leur poison mortel, si bien que leur préparation en restaurant est strictement contrôlée. Le tora fugu, qui peut peser jusqu’à 2,5kg, est le plus prisé, et est servi dans des restaurants spécialisés sous forme de sashimi et chiri-nabé. Malgré la commercialisation depuis 2004 de fugu d’élevage ne sécrétant pas de poison, la demande de fugu sauvage “dangereux” reste la plus élevée. De là à parler de gout du risque, il n’y a qu’un pas…